SILVERTHORN Teresa
Dynamique des flux de gaz à effet de serre dans les réseaux hydrographiques fragmentés
Encadrants : Thibault Datry (UR RiverLY) et Vincent Chanudet (ED)
Ecole Doctorale: Evolution, Ecosystèmes, Microbiologie, Modélisation (E2M2)

Les réseaux fluviaux sont des zones d'échanges biogéochimiques disproportionnés par rapport à leur présence dans le paysage (Allen & Pavelsky, 2018). Les rivières reçoivent de grandes quantités de carbone (C) d'origine terrestre qui est ensuite stocké, transformé ou finalement transporté vers l'océan (Battin et al., 2009; Cole et al., 2007). À l'échelle mondiale, on estime que l'évasion de dioxyde de carbone (CO2) des cours d'eau, entraîné par la minéralisation des apports de C organique terrestre, la production primaire dans les cours d'eau, ainsi que les apports de C inorganique par les eaux souterraines (Hotchkiss et al., 2015), est cinq fois plus importante que celle des lacs et des réservoirs (Raymond et al., 2013). Les réseaux fluviaux sont fragmentés par des agents naturels (e.g. l’assèchement, les chutes d'eau, les barrages de castors) et anthropiques (barrages, prélèvements d'eau; (Fuller et al., 2015). La fragmentation par l’assèchement et les barrages, deux des formes les plus répandues de fragmentation des cours d'eau (Grill et al., 2019; Messager et al., 2021), peut avoir un impact sur la production et l'évasion des gaz à effet de serre (GES) à la fois à l'échelle locale et à l'échelle du réseau.

À l'échelle locale, les flux de CO2 et de méthane (CH4) provenant des eaux douces sèches représentent une composante importante des écosystèmes d'eau douce (Keller et al., 2020; Paranaíba et al., 2021). Dans les réservoirs, le temps de séjour et les température de l'eau sont élevés, ce qui favorise l’accumulation de matières organiques (MO) et de sédiments (Wang et al., 2018). La matière organique d'origine allochtone est une ressource de base essentielle du réseau trophique aquatique, en particulier dans les cours d'eau de tête de bassin (Richardson et al., 2005). En tant que carburant pour la respiration, la MO est un facteur important d'émissions de CO2 et de CH4 à partir des réservoirs (Chanudet et al., 2020; Rosa et al., 2004). Cette accumulation dans les réservoirs crée des conditions anaérobies idéales à la dénitrification et à la méthanogenèse, ainsi qu’à la production d’oxyde nitreux (N2O) et de CH4 (Wang et al., 2018). Les apports anthropiques d'azote dans les systèmes fluviaux peuvent entraîner le dégazage de l'équivalent de 10 % des émissions anthropiques mondiales de N2O (Beaulieu et al., 2011). À l'échelle du réseau fluvial, les rivières peuvent être considérées comme des méta-écosystèmes composés d'un continuum aquatique au sein d'une matrice terrestre (Little et al., 2020). La fragmentation modifie les flux latéraux, verticaux et longitudinaux d'organismes, d'énergie et de ressources dans les écosystèmes (Cid et al., 2021; Datry et al., 2016). Cependant, à ce jour, peu de recherches ont été menées sur les effets de la fragmentation sur la dynamique des GES dans les rivières, tant à l'échelle locale qu'à l'échelle du réseau hydrographique.

L'objectif principal de cette thèse est d'examiner les effets de la fragmentation par l'assèchement et des barrages sur la dynamique des GES dans les réseaux fluviaux. Nous avons testé l'hypothèse principale selon laquelle les dynamiques spatio-temporelles de l'assèchement et des barrages à l'échelle du réseau fluvial seraient l’un des moteurs importants de la dynamique de la MO et des GES, et ce, en se basant à la fois sur une revue de la littérature, des expériences de terrain et des expériences en laboratoire.

SILVERTHORN-Fig1
Fig 1. Effets individuels de la fragmentation par assèchement et barrages, interactions à l'échelle du réseau fluvial sur les taux de processus relatifs menant aux flux de gaz à effet de serre. © Silverthorn et al., 2023 Freshwater Biology.

Figure 1, La largeur des flèches indique l'ampleur relative des taux de processus. Le bleu indique les tronçons lotiques, le jaune indique les tronçons secs, les lignes pleines indiquent les tronçons pérennes et les lignes en pointillés indiquent les tronçons intermittents. Nous nous attendons à des flux de GES plus élevés dans les sédiments secs en amont, où les apports de matière organique par unité de surface sont généralement plus importants (a). Nous prévoyons que les réservoirs dans le cours principal auront des flux de GES par unité de surface plus élevés en raison des températures de l'eau plus chaudes par rapport aux tronçons ombragés en amont (b). L'effet interactif additif de l'assèchement et des barrages pourrait entraîner un plus grand processus de matière organique dans les tronçons secs et les réservoirs, entraînant ainsi une plus grande émission de GES dans l'atmosphère (c). Source : Silverthorn et al., 2023 Freshwater Biology.

Cette thèse fournit un ensemble de preuves attestant des effets de la fragmentation par l'assèchement et des barrages sur les flux de GES. En combinant des données issues d’une revue de la littérature et la théorie du méta-écosystème, on a proposé un modèle conceptuel (Fig. 1) décrivant comment la distribution spatiale de la fragmentation par l'assèchement, les barrages et leurs interactions influencent les flux de GES à l'échelle du réseau fluvial (Silverthorn et al., 2023). On également a mené une stratégie d'échantillonnage intensive sur 20 sites pendant neuf mois, avec des analyseurs automatisés mesurant le CO2, le CH4 et le N2O des sédiments du lit de la rivière asséchée, des eaux courantes, des flaques isolées et des sols des berges. On a pu montrer que l'assèchement n'a pas seulement un effet résiduel sur les tronçons non pérennes lorsqu'ils étaient en écoulement, mais aussi un effet spatial à l'échelle du réseau. Plus précisément, les flux de CO2 et de N2O sont respectivement jusqu'à 29 fois et quatre fois plus élevés dans les tronçons pérennes que dans les tronçons non-pérennes dans des conditions d'écoulement (Silverthorn et al., 2024). Une expérience de mésocosmes avec des sédiments et de l'eau d'une rivière non pérenne a été menée pour simuler des flaques isolées. Les résultats montrent que l'augmentation de la température de l'eau et de la matière organique accroît indépendamment les émissions de CO2 et a un effet synergique sur les émissions de CH4, en particulier dans des conditions plus chaudes, soulignant ainsi le potentiel d'émission de GES des flaques isolées dans le contexte du changement climatique (Silverthorn et al., 2024 sous révision). Une étude in situ le long d'un réseau fluvial a montré que les petits barrages perturbent les stocks de matière organique et les flux de CH4, mais n'affectent pas la décomposition ni les flux de CO2. En été, les flux de CH4 ont diminué avec la distance aux barrages, probablement en raison des stocks de matière organique et du substrat fin (Silverthorn et al., 2024, sous révision). Les résultats obtenus dans cette thèse contribuent à une meilleure compréhension de l'ampleur et des facteurs des flux de GES à travers les réseaux fluviaux, ce qui peut aider à affiner les estimations mondiales des GES et à favoriser l'atténuation du changement climatique.

Références

  • Allen, G. H., & Pavelsky, T. M. (2018). Global extent of rivers and streams. Science, 361(6402), 585–588.
  • Battin, T. J., Luyssaert, S., Kaplan, L. A., Aufdenkampe, A. K., Richter, A., & Tranvik, L. J. (2009). The boundless carbon cycle. Nature Geoscience, 2(9), 598–600.
  • Beaulieu, J. J., Tank, J. L., Hamilton, S. K., Wollheim, W. M., Hall, R. O., Mulholland, P. J., Peterson, B. J., Ashkenas, L. R., Cooper, L. W., Dahm, C. N., Dodds, W. K., Grimm, N. B., Johnson, S. L., McDowell, W. H., Poole, G. C., Valett, H. M., Arango, C. P., Bernot, M. J., Burgin, A. J., … Thomas, S. M. (2011). Nitrous oxide emission from denitrification in stream and river networks. Proceedings of the National Academy of Sciences, 108(1), 214–219. https://doi.org/10.1073/pnas.1011464108
  • Chanudet, V., Gaillard, J., Lambelain, J., Demarty, M., Descloux, S., Félix-Faure, J., Poirel, A., & Dambrine, E. (2020). Emission of greenhouse gases from French temperate hydropower reservoirs. Aquatic Sciences, 82(3).
  • Cid, N., Erős, T., Heino, J., Singer, G., Jähnig, S. C., Cañedo-Argüelles, M., Bonada, N., Sarremejane, R., Mykrä, H., & Sandin, L. (2021). From meta-system theory to the sustainable management of rivers in the Anthropocene. Frontiers in Ecology and the Environment, 20(1), 49–57.
  • Cole, J. J., Prairie, Y. T., Caraco, N. F., McDowell, W. H., Tranvik, L. J., Striegl, R. G., Duarte, C. M., Kortelainen, P., Downing, J. A., & Middelburg, J. J. (2007). Plumbing the global carbon cycle: Integrating inland waters into the terrestrial carbon budget. Ecosystems, 10(1), 172–185.
  • Datry, T., Pella, H., Leigh, C., Bonada, N., & Hugueny, B. (2016). A landscape approach to advance intermittent river ecology. Freshwater Biology, 61(8), 1200–1213. https://doi.org/10.1111/fwb.12645
  • Döll, P., & Schmied, H. M. (2012). How is the impact of climate change on river flow regimes related to the impact on mean annual runoff? A global-scale analysis. Environmental Research Letters, 7(1), 014037.
  • Fuller, M. R., Doyle, M. W., & Strayer, D. L. (2015). Causes and consequences of habitat fragmentation in river networks. Annals of the New York Academy of Sciences, 1355(1), 31–51.
  • Grill, G., Lehner, B., Thieme, M., Geenen, B., Tickner, D., Antonelli, F., Babu, S., Borrelli, P., Cheng, L., Crochetiere, H., Ehalt Macedo, H., Filgueiras, R., Goichot, M., Higgins, J., Hogan, Z., Lip, B., McClain, M. E., Meng, J., Mulligan, M., … Zarfl, C. (2019). Mapping the world’s free-flowing rivers. Nature, 569(7755), Article 7755. https://doi.org/10.1038/s41586-019-1111-9
  • Hotchkiss, E. R., Hal, R. O. J., Sponseller, R. A., & Butman, D. (2015). Sources of and processes controlling CO2 emissions change with the size of streams and rivers. Nature Geoscience, 8(9), 696–699. https://doi.org/10.1038/ngeo2507
  • Keller, P. S., Catalán, N., von Schiller, D., Grossart, H.-P., Koschorreck, M., Obrador, B., Frassl, M. A., Karakaya, N., Barros, N., Howitt, J. A., Mendoza-Lera, C., Pastor, A., Flaim, G., Aben, R., Riis, T., Arce, M., Onandia, G., Paranaíba, J. R., Linkhorst, A., … Marcé, R. (2020). Global CO2 emissions from dry inland waters share common drivers across ecosystems. Nature Communications, 11(1), 2126. https://doi.org/10.1038/s41467-020-15929-y
  • Kweku, D. W., Bismark, O., Maxwell, A., Desmond, K. A., Danso, K. B., Oti-Mensah, E. A., Quachie, A. T., & Adormaa, B. B. (2018). Greenhouse effect: Greenhouse gases and their impact on global warming. Journal of Scientific Research and Reports, 17(6), 1–9.
  • Little, C. J., Rizzuto, M., Luhring, T. M., Monk, J. D., Nowicki, R. J., Paseka, R. E., Stegen, J., Symons, C. C., Taub, F. B., & Yen, J. (2020). Filling the Information Gap in Meta-Ecosystem Ecology.
  • Messager, M. L., Lehner, B., Cockburn, C., Lamouroux, N., Pella, H., Snelder, T., Tockner, K., Trautmann, T., Watt, C., & Datry, T. (2021). Global prevalence of non-perennial rivers and streams. Nature, 594(7863), 391–397.
  • Paranaíba, J. R., Aben, R., Barros, N., Quadra, G., Linkhorst, A., Amado, A. M., Brothers, S., Catalán, N., Condon, J., Finlayson, C. M., Grossart, H.-P., Howitt, J., Oliveira Junior, E. S., Keller, P. S., Koschorreck, M., Laas, A., Leigh, C., Marcé, R., Mendonça, R., … Kosten, S. (2021). Cross-continental importance of CH4 emissions from dry inland-waters. Science of the Total Environment, 814, 1–11. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2021.151925
  • Raymond, P. A., Hartmann, J., Lauerwald, R., Sobek, S., McDonald, C., Hoover, M., Butman, D., Striegl, R., Mayorga, E., Humborg, C., Kortelainen, P., Dürr, H., Meybeck, M., Ciais, P., & Guth, P. (2013). Global carbon dioxide emissions from inland waters. Nature, 503(7476), Article 7476. https://doi.org/10.1038/nature12760
  • Richardson, J. S., Bilby, R. E., & Bondar, C. A. (2005). Organic matter dynamics in small streams of the Pacific Northwest. JAWRA Journal of the American Water Resources Association, 41(4), 921–934.
  • Rosa, L. P., dos Santos, M. A., Matvienko, B., dos Santos, E. O., & Sikar, E. (2004). Greenhouse Gas Emissions from Hydroelectric Reservoirs in Tropical Regions. Climatic Change, 66(1), 9–21. https://doi.org/10.1023/B:CLIM.0000043158.52222.ee
  • Silverthorn, T., López-Rojo, N., Foulquier, A., Chanudet, V., & Datry, T. (2023). Greenhouse gas dynamics in river networks fragmented by drying and damming. Freshwater Biology, 68(12), 2027–2041. https://doi.org/10.1111/fwb.14172
  • Silverthorn, T., López-Rojo, N., Sarremejane, R., Foulquier, A., Chanudet, V., Azougui, A., del Campo, R., Singer, G., & Datry, T. (2024). River network-scale drying impacts the spatiotemporal dynamics of greenhouse gas fluxes. Limnology and Oceanography, 69(4), 861–873. https://doi.org/10.1002/lno.12531
  • Wang, F., Maberly, S. C., Wang, B., & Liang, X. (2018). Effects of dams on riverine biogeochemical cycling and ecology. Inland Waters, 8(2), 130–140. https://doi.org/10.1080/20442041.2018.1469335
  • Zarfl, C., Lumsdon, A. E., Berlekamp, J., Tydecks, L., & Tockner, K. (2015). A global boom in hydropower dam construction. Aquatic Sciences, 77(1), 161–170.