ROUZIES Emilie
2020-2023
Quantification et réduction de l’incertitude dans un modèle de transfert de pesticides à l’échelle du bassin versant.
Encadrants : Claire Lauvernet (INRAE, UR Riverly, Pollutions Diffuses) et Arthur Vidard (Univ. Grenoble Alpes, Inria, CNRS)
Ecole Doctorale : ED 217, Mathématiques, Sciences et Technologies de l’Information, Informatique, Université Grenoble Alpes.

Objectif général

L’objectif général de ma thèse est de quantifier et réduire les incertitudes par assimilation de données multi-sources issues d’images satellite, profils d’humidité par mesures géophysiques, et/ou concentrations en pesticides à l’exutoire.

Contexte et objectifs

L’utilisation intensive de pesticides est associée à des risques importants pour la qualité des masses d’eau souterraines et de surface. Le recours à un modèle numérique peut être une approche pertinente pour identifier de tels risques et participer à la mise en place de stratégies de protection adaptées. Le modèle PESHMELBA (PESticides et Hydrologie: Modélisation à l’EcheLle du Bassin versant, Rouzies et al. (2019) a récemment été développé dans cette optique en mettant l’accent sur la représentation des différentes structures paysagères (bandes enherbées, fossés, haies, etc.) et de leur impact sur les transferts de pesticides. Il s’agit d’un modèle distribué, à base physique, doté d’une structure modulaire permettant de représenter explicitement les processus physiques influant sur le devenir des pesticides dans les différents
éléments du paysage (parcelles, rivière, zones tampons).
L’objectif à terme est, entre autre, de faire de PESHMELBA un outil opérationnel à destination des gestionnaires de bassins versants afin de simuler et comparer différents scénarios d’aménagement du paysage et d’atténuation des transferts de pesticides. Or les sorties du modèle sont entâchées d’incertitudes provenant de différentes sources: structure du modèle,
discrétisation, forçages, conditions limites et initiales, paramètres, etc. Il est donc primordial de quantifier ces incertitudes pour les communiquer aux futurs utilisateurs, mais aussi, lorsque cela est possible, de les réduire au maximum. L’objectif de la thèse est ainsi de quantifier puis de réduire les incertitudes liées à la paramétrisation du modèle, en s’appuyant sur
des méthodes mathématiques novatrices et adaptées au domaine de l’hydrologie et de la qualité de l’eau.

Démarche et résultats

Partie I : quantifier les incertitudes par analyse de sensibilité

Dans la première partie de la thèse, une analyse de sensibilité et d’incertitude ont été réalisées. L’analyse d’incertitude étudie la propagation des incertitudes des entrées sur les variables de sortie d’intérêt. L’analyse de sensibilité, quant à elle, a pour objectif de hiérarchiser les paramètres d’entrée par ordre d’influence sur une ou plusieurs variables de sortie, en identifiant les potentielles interactions entre eux comme illustré sur la Figure 1 Les premières variables de sortie ciblées sont des variables intégrées: volumes d’eau et masses de pesticides cumulés au long de la simulation qui sont transférés en surface et en subsurface entre chaque élément du paysage.
L’analyse de ces variables permettra de gagner en compréhension sur le fonctionnement du modèle. Des séries temporelles d’humidité du sol et de concentration journalière moyenne en pesticide à l’exutoire sont également ciblées puisqu’elles sont pressenties pour l’étape de réduction d’incertitude.

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Fig. 1 : Analyse de sensibilité appliquée à la masse de tébuconazole transférée par ruissellement de surface sur la parcelle 12 (encadrée rouge).

Figure 1, l’histogramme de droite présente les 14 paramètres les plus influents sur cette variable selon les indices de Sobol totaux.

Les indices de sensibilité associés à chaque paramètre (et quantifiant leur influence sur la sortie) sont calculés sur chaque élément du paysage mais également agrégés spatialement dans une dernière partie pour une interprétation plus globale. Ainsi, à ces différentes échelles, l’interprétation des classements de paramètres influents est faite en lien avec les différents processus physiques impliqués. Les résultats montrent que les variables liées à l’eau sont majoritairement influencées par des paramètres hydrodynamiques de l’horizon profond de l’élément du paysage considéré. Les variables liées aux pesticides sont quant à elles dominées par l’effet du coefficient d’adsorption puis influencées par des paramètres hydrodynamiques à différentes profondeurs. Les effets des interactions entre paramètres sont également plus significatifs sur les variables relatives aux pesticides, attestant d’interactions entre les processus physiques plus marquées. Différentes méthodes ont été évaluées et comparées (Morris, Sobol, HSIC, Random Forest) dans Radišić et al. pour la partie dynamique et Rouzies et al. (2023) pour la spatialisation des paramètres.

Partie II : réduire les incertitudes par assimilation de données

Dans la seconde partie de la thèse, une méthode d’assimilation de données dans PESHMELBA est mise en oeuvre. Ces méthodes mathématiques historiquement développées pour la prévision en météorologie et océanographie consistent à fusionner toute l’information disponible, provenant du modèle (équations physiques ou empiriques), des observations (images, in situ, proxys), et de leurs incertitudes respectives. L’objectif peut être d’estimer les paramètres d’entrée identifiés comme les plus influents et/ou de corriger les trajectoires des variables de sortie du modèle en fonction des observations: ici, il s’agit de l’humidité de surface et de subsurface et la concentration de pesticides à l’exutoire.

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Fig 2 a : Principe de l’assimilation de données
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Fig. 2b : chronique de concentration journalière en tébuconazole à l’exutoire avant (courbe grise) et après (courbe bleue) assimilation.

Figure 2, la courbe noire représente la référence de l’expérience virtuelle («vérité» à atteindre). Le CRPSS quantifie l’impact de l’assimilation par rapport à une expérience sans assimilation, en l’occurence, une amélioration de 28% de l’estimation de la concentration.

Le scénario d’étude considéré étant simplifié, des observations virtuelles, construites de manière à être les plus représentatives possibles des observations réellement disponibles sur la Morcille sont utilisées: images satellites d’humidité de surface provenant de l’inversion synergique de données Sentinel-1/Sentinel-2, profils verticaux d’humidité ponctuels provenant de sondes TDR ou de mesures géophysiques et chroniques de concentration moyenne en tébuconazole à l’exutoire, obtenues par exemple par échantillonnage passif. La fréquence spatio-temporelle et le niveau d’incertitude varie d’un type d’observation à l’autre. Plusieurs expériences d’assimilation ont été menées en faisant varier le type d’observations intégrées, leur fréquence spatio-temporelle, leur incertitude ainsi que les variables de sortie et/ou paramètres d’entrée corrigés (exemple fig 2). La comparaison des principales méthodes d’assimilation donne l’ES-MDA (Emerick and Reynolds, 2013) comme le meilleur compromis coût calcul / qualité des résultats avec PESHMELBA, ce qui peut être probablement généralisable aux modèles distribués hydrologie/qualité de l’eau. Ces travaux ont été publiés dans Rouzies et al. (2024).

Les résultats obtenus participent ainsi à la démarche d’évaluation de ce «jeune» modèle et à une utilisation éclairée des résultats des simulations, notamment dans un contexte d’aide à la décision.

Financement

Département AQUA et Unité Riverly, environnement de travail : projet ECOPHYTO SPIRIT et projet LEFE-MANU MARQUISE.

References

  • A. A. Emerick and A. C. Reynolds. Computers & Geosciences, 2013. doi:10.1016/j.cageo.2012.03.011.
  • K. Radišić, E. Rouzies, C. Lauvernet, and A. Vidard. Socio-Environmental Systems Modelling. doi:10.18174/sesmo.18570.
  • E. Rouzies, C. Lauvernet, C. Barachet, T. Morel, F. Branger, I. Braud, and N. Carluer. Science of The Total Environment, 2019. doi:10.1016/j.scitotenv.2019.03.060.
  • E. Rouzies, C. Lauvernet, B. Sudret, and A. Vidard. Geoscientific Model Development, 2023. doi:10.5194/gmd-16-3137-2023.
  • E. Rouzies, C. Lauvernet, and A. Vidard. Hydrology and Earth System Sciences Discussions, 2024. doi:10.5194/hess-2024-219.